lundi 28 janvier 2013

Le rôle des relations sociales sur le parcours doctoral : Quelques hypothèses.


 
Le rôle des relations sociales sur le parcours doctoral : Quelques hypothèses.

Louis Cournoyer

Professeur

UQÀM

 

Résumé 

Dans le cadre de ce colloque franco-québécois portant sur l’odyssée de l’objet de recherche, j’ai choisi d’examiner comment mes propres résultats de recherches obtenus auprès d’une population de collégiens du Québec pourraient s’appliquer à celle des doctorants. Quelques études québécoises, françaises et américaines sont d’abord amenées pour mettre en lumière la place des relations sociales sur la poursuite de parcours d’études doctorales. Ensuite, un résumé de mes résultats est présenté à titre de cas illustratif du rôle des relations sociales sur les parcours individuels. Enfin, des liens sont établis entre l’expérience de collégiens et celle de doctorants, ainsi que des hypothèses sur le rôle possible des relations sociales sur le parcours d’études doctorales.

 

 
Tensions et interactions au sein du parcours doctoral

 

Les inscriptions aux études doctorales tant québécoises que françaises connaissent une croissance soutenue depuis quelques années (Erlich, 2000 ; Conseil national des cycles supérieurs et Fédération étudiante universitaire du Québec, 2007). Reflet des transformations sociales et sociétales, le profil d’âge des doctorants, ainsi que leur parcours de vie sont de plus en plus diversifiés. Malgré ces évolutions, les études doctorales connaissent des taux importants d’abandon. Bourdages (1996) rapporte qu’au début des années 1990, les taux d’abandons aux études de troisième cycle se situaient aux environs de 50% au Québec. Plus de quinze ans plus tard, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (2006) indique que seule une personne inscrite aux études doctorales sur trois complétera sa thèse. La situation paraît similaire en France. Une étude de Moguérou, Murdoch et Paul (2003) souligne un taux d’abandon en cours de thèse plus faible, soit de l’ordre de 10% à 30%, mais qui peut croître à plus de 50% selon le programme d’études et le taux de financement par allocation de l’État. La question de persévérance aux études des doctorants invite à porter attention aux raisons possibles d’abandons aux études doctorales. D’un coté de l’Atlantique comme de l’autre, le fait de se trouver un emploi durant la poursuite des études doctorales, les problèmes d’ordre financier, le désintéressement, ainsi que les difficultés de conciliation travail, études et vie personnelle, conjugale et parentale, apparaissent les plus probantes (Moguérou, Murdoch et Paul. 2003; CNCS-FEUQ, 2007).

 

            Bourdages (1996) note qu’au de caractéristiques personnelles et de conditions de vie, certains facteurs d’ordre relationnel apparaissent jouer un rôle important sur la poursuite des études doctorales. Ainsi, la présence et la qualité des relations entretenues avec les conjoints, les enfants, les proches, ainsi que les ressources professionnelles de l’institution universitaire, dont notamment le directeur de recherche ou encore celles liées à la participation aux activités d’un collectif de recherche, constituent des facteurs déterminants à la poursuite des études doctorales. Les relations sociales quotidiennes des doctorants ne se limitent pas, voire parfois, peu au milieu universitaire. Les travaux d’Erlich (2000) ont permis de faire ressortir l’importance des membres de la famille, des amitiés, ainsi que de connaissances associées aux loisirs ou au travail lors de moments de découragement et de désillusion. Pour l’auteure, ce sont les proches et plus particulièrement les membres de la famille qui sont sollicités pour besoin de confidence, et ce, nonobstant la distance géographique. Si les directeurs de thèse occupent une place importante dans leur vie quotidienne, ils ne constituent que rarement des sources privilégiées pour l’obtention de soutien moral et affectif. L’avancée aux études doctorales a toutefois pour effet de transformer ces pratiques de sociabilité de doctorants. Le réseau social développé au sein de la sphère des études doctorales joue alors un rôle de relais important.

 

L’ajout d’une allocation financière par la participation aux activités d’une équipe de recherche, les charges d’enseignement, ainsi que la réalisation de contrats de recherche sont autant de facteurs complémentaires et nécessaires pour favoriser son intégration dans le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur. L’accroissement de la charge et du rythme de travail bouscule les habitudes de fréquentation tant au plan familial, conjugal que parental. Plus spécifiquement chez les femmes, la compréhension du conjoint s’avère une condition importante, voire essentielle à pouvoir mener leur projet d’études doctorales (Erlich, 2000). Enfin, la participation au sein de collectifs de recherche influe sur la manière dont seront menées les études doctorales. Erlich (2000) distingue deux groupes de thésards : les « professionnels » qui opèrent au sein de collectifs de recherche  et les « solitaires » qui travaillent de manière autonome, avec ou sans financement. Ces derniers sont jugés plus à risque au plan de l’isolement social. 

 

Un ouvrage américain récent (Wulff et Austin, 2004) présente une recension des différents programmes et mesures d’amélioration de la formation doctorale. La place accordée à la qualité de l’expérience au plan des relations sociales s’avère passablement importante. Wulff et Austin (2004) soulignent notamment l’importance de cultiver un sens d’appartenance intellectuelle à la faculté en aidant et accompagnant les doctorants dans leurs études : encadrement scolaire, offres d’emploi, soutien d’accès à l’aide financière, relations avec le personnel professoral. Les auteurs rapportent également l’importance d’encourager les relations informelles pour ainsi favoriser le partage des préoccupations des étudiants pour être en mesure de réaliser des suivis plus personnalisés. Enfin, ils relèvent l’importance de développer de meilleurs modes d’encadrement et de supervision par l’établissement de standards pour la supervision des étudiants.

 

Dans la mesure où les vies individuelles sont interreliées (Elder, 1998), il y a tout lieu de penser que la persévérance aux études des doctorants semble soumise aux relations entretenues avec l’environnement social immédiat et institutionnel. Dans la foulée des travaux de Granovetter (1973, 1983) ou de ceux plus récents de (Bidart et Lavenu, 2001, 2005 ; Bidart, Mounier et Pélissier, 2002 ; Charbonneau, 2004a, 2004b, 2007; Grossetti, 2005 ; Cournoyer, à paraître), il y a lieu de considérer l’étude des relations sociales comme piste d’analyse pertinente à l’évolution des parcours individuels. 

 

Relations sociales et parcours de vie


 

            Les relations sociales accompagnent les individus tout au long de leur vie. Au moment de l’entrée dans l’âge adulte, les relations sociales se révèlent les plus nombreuses et les plus changeantes rapidement dans la vie d’un individu (Bidart, 1997; Charbonneau et Turcotte, 2002). Vers le milieu de la vingtaine, la sortie des études, l’entrée sur le marché du travail, la mise en couple (accompagnée parfois d’une vie résidentielle et parentale), toutes favorisent un rétrécissement progressif du nombre de relations au sein de son réseau au profit de relations électives plus intimes reposant sur une homophilie de caractéristiques communes (Bidart et Lavenu, 2005). Par contre, le maintien d’une vie étudiante ou le retour aux études peuvent constituer des occasions d’accroissement du nombre de relations au sein de son réseau social (Bidart et Lavenu, 2005). Différents agents de socialisation contribuent à l’expansion du nombre de liens relationnels : voisinage, lieux d’études, travail à temps partiel, entremetteurs (cercles sociaux), choix de fréquentation de lieux d’intérêts, lieux de rencontre (bars, cafés, etc.), entreprises commerciales de mise en contact, hasard de fréquentation, événements impromptus ou Internet. C’est dans les interactions avec divers partenaires que se construisent des affiliations, des identifications, des altérités étroites (Bidart, Lavenu et Pellissier, 2005).

 

Les travaux sur la force des liens forts et des liens faibles de Grannovetter (1973, 1983) constituent une référence-phare à la compréhension des modes d’opérationnalisation relationnelle entre les individus. Les liens dits forts s’associent aux personnes homophiles et présentes au sein de l’environnement social immédiat (ex. : famille et amis). De leur coté, les liens dits faibles s’associent à des relations entretenues auprès d’individus ou de groupes d’individus avec qui l’on n’est initialement ni intime, ni proche, ni homophile, mais dont les attributs et les ressources constituent de véritables connexions au monde extérieur (Erickson, 2004). Tel que le souligne Erickson (2004), « les individus ont tendance à s’associer à des personnes avec qui ils ont le plus d’affinités, ce sont les personnes plus loin de nous, avec qui nous entretenons des liens plus faibles, qui risquent le plus de disposer des différents types de ressources que nous n’avons pas nous-mêmes » (p. 12). C’est pourquoi il faut également tenir compte des liens faibles. Pour Giordano (2003), les liens forts tels les amis proches et les cercles plus larges de pairs permettent d’accéder à des relations sécurisantes, cohésives, affectives, relativement consensuelles, privilégiant le confort du conformisme et de la confiance mutuelle. Quant aux liens faibles, il s’agit de relations hétérogènes, moins axées sur la protection de l’individu, voir même davantage enclin à le confronter (jugement parfois sévère et puissant, essai d’identités nouvelles), mais aussi à lui transmettre des informations nouvelles, ne circulant pas au sein du réseau de proximité.

 

Plusieurs études en psychologie et en médecine ont révélé que les réseaux de relations sociales des individus peuvent non seulement fournir des occasions de support, d’encouragement, d’information, d’aide ou autre, de même que transmettre plus ou moins implicitement des valeurs, des attitudes et des croyances, mais qu’ils peuvent se révéler de véritables sources de bien-être psychologique et physique (Charbonneau et Turcotte, 2002). Les parcours des doctorants sont marqués par les transitions, les événements, ainsi que les échanges entretenus avec leur milieu d’études et de vie.

 

 

Le rôle DES relations sociales sur les parcours d’études : le cas de jeunes inscrits aux études collégiales québécoises.


 

 

Cette section présente tout d’abord le cadre, les objectifs et la méthodologie de ma recherche doctorale. Par la suite, quelques résultats analysés et discutés relativement au rôle des relations sociales sur le projet professionnel de collégiens du Québec sont abordés.

 

La recherche doctorale


 

La thèse a pour objectif général de comprendre l’évolution de la construction du projet professionnel des collégiens du Québec[1] en tenant compte du rôle de leurs relations sociales. Trois sous-objectifs guident la poursuite de l’objectif principal : 1) Décrire l’évolution de la construction des projets professionnels de collégiens au cours des 18 premiers mois d’études collégiales; 2) Identifier les relations sociales susceptibles de jouer un rôle d’influence sur l’évolution de la construction de leurs projets professionnels; 3) Analyser comment et en quoi les relations sociales peuvent jouer un rôle sur l’évolution de la construction de leurs projets professionnels. Les résultats analysés proviennent de l’enquête longitudinale Famille, réseaux et persévérance au collégial (Bourdon et Charbonneau, 2004-2006[2]).  Cette enquête comprend trois vagues d’enquête, menées entre août 2004 et décembre 2005 auprès de 74 collégiens.  L’analyse des contenus des trois entretiens semi-dirigés de chacun des 74 participants (222 entretiens au total) a permis de décrire d’abord les projets professionnels. Des procédures de thématisation et de catégorisation conceptuelle du matériel s’appuyant sur les travaux de Paillé et Muchielli (2003) ont guidé l’analyse.

 

Cette communication n’approfondit pas les résultats analysés relatifs au premier objectif, soit la description des dynamiques évolutives du projet professionnel. Les personnes intéressées à cette question sont invitées à communiquer avec l’auteur, à consulter sa thèse sur le sujet (Cournoyer, à paraître) ou encore ses publications prochaines. Ainsi, seuls les résultats relatifs au rôle des relations sociales sont abordés.

 

Le rôle des relations sociales : les résultats analysés et discutés. 


 

            Trois catégories de relations sociales peuvent être dégagées du corpus d’entretiens des participants. Ceux-ci sont présentés au tableau 1 ci-dessous.

 

Tableau 1

Évocation des différentes catégories de relations sociales par les collégiens lorsqu’il est question de la construction de leur projet professionnel

 
Relations familiales
 
 
Relations hors réseau
 
 
Vague
P
 
F
 
FE
 
A
 
AA
 
Pco
 
Autres
 
Aucun
 
V1
25
7
 
3
 
20
 
3
 
1
 
3
 
31
V2
19
8
 
5
 
19
 
10
 
6
 
12
 
26
V3
29
11
 
7
 
22
 
8
 
15
 
10
 
18
Moyenne/vague
24
9
 
5
 
20
 
7
 
7
 
8
 
25

Légende : Parents (P), fratrie (F), Famille élargie (FE), amis (A), relations amoureuses (AA), ressources professionnelles du cégep (PCo), autres personnes significatives (Autres).

 

            Sur le plan des catégories de relations sociales, les relations familiales (parents, fratrie, famille élargie) s’avèrent les plus souvent mentionnées par les collégiens lorsqu’il est question de la construction de leur projet professionnel, soit par une moyenne par vague de 38 collégiens.  Les relations hors famille (amis, relations amoureuses) suivent avec une moyenne de 27 collégiens par vague d’enquête, alors que les relations hors réseau (ressources professionnelles du collège, autres personnes significatives) sont mentionnées par une moyenne 15 collégiens par vague. Plus spécifiquement, les parents et les amis sont les principaux acteurs nommés par les collégiens. Ainsi, ce ne sont pas non plus tous les collégiens qui abordent la question de la construction de leur projet professionnel avec l’une ou l’autre de ces relations sociales.

 

 

 


 


 


Les relations familiales, hors familles et hors réseau.


 

Chacune des catégories de relations sociales contribuent à sa manière à l’évolution des projets professionnels des collégiens. Alors que les relations familiales portent sur la préparation à l’entrée sur le marché du travail, les relations hors famille agissent, en contrepartie, sur l’ouverture à de nouvelles perspectives. Quant aux relations hors réseau, elles aident à naviguer vers d’autres mondes.

 

En ce qui concerne les relations familiales, les résultats analysés présentent certaines manifestations du rôle des parents, des membres de la fratrie et celles de la famille élargie. Tout d’abord, les parents se révèlent d’importants pourvoyeurs de ressources et de support. Non seulement, ils sont là pour contribuer au financement partiel ou complet des études, au transport, au gîte et couvert, mais les parents des collégiens rencontrés s’avèrent majoritairement de grands pourvoyeurs d’encouragement, d’écoute et de conseil lorsque ces derniers abordent la question de leur projet professionnel. La relation parentale se distingue de toutes les autres relations sociales des collégiens. La particularité de la relation parentale est qu’elle débute durant les mois précédents la naissance de l’enfant. Volontairement ou par défaut, "les parents ont des projets" pour leur enfant. Ainsi, le projet professionnel des jeunes se construit au travers du "projet parental". Dès l’enfance, les parents transmettent des valeurs, soutiennent le développement d’habiletés particulières (notamment relationnelles), ainsi que des connaissances et des perspectives sur le monde environnant. Au moment de l’entrée aux études collégiales, les jeunes de l’enquête sont nombreux à évoquer le sens conféré par leurs parents d’une vie adulte appréciable : l’accès à une sécurité d’emploi conforme aux standards sociaux de bien-être et de sécurité. Majoritairement bienveillants et souhaitant que leurs enfants se réalisent par la capacité de formuler leurs propres choix, il demeure que la plupart des discours portent la double injonction suivante : « sois heureux, mais surtout accroches-toi aux études ». L’introjection de cette injonction, au travers d’horizons professionnels partagés, n’entraîne pas de problèmes apparents en regard du projet parental. Toutefois, lorsque les destinations professionnelles envisagées s’éloignent des perspectives du projet parental, les jeunes sont conscients du risque de confrontation, de tension, de conflit, voire même de rupture relationnelle. Si certains renoncent à cette divergence, notamment par la mise en veilleuse de leurs aspirations (ex. : je vais compléter les études pour lesquelles mes parents m’encouragent, puis après je verrai …), d’autres l’affrontent. Malgré que l’on puisse associer l’âge des collégiens à une période de distanciation relative aux relations parentales, notamment en raison des transformations continues du réseau social (Bidart, 1997; Charbonneau et Turcotte, 2002; Degenne et Lebeaux, 2004; Grossetti, 2005), force est de constater que les parents maintiennent une présence forte dans la vie de la plupart des jeunes rencontrés. L’ancrage relatif à l’apprentissage de normes et de comportements sociaux, ainsi qu’à l’égard de traits de personnalité développés (Charbonneau, 2004b), permet au parent de jouer un rôle, même lorsque symbolique, dans la construction de leurs projets professionnels. De leur coté, les relations de fratrie sont moins prégnantes dans la vie des jeunes. Les résultats analysés révèlent d’ailleurs qu’elles exercent surtout un rôle lorsqu’il y a présence de sœurs ou de frères un peu plus âgés, lesquels peuvent alors jouer un rôle d’éclairage et de pistonnage en regard d’espaces sociaux et institutionnels traversés par ces derniers. Finalement, les membres de la famille élargie, soit les cousines, les cousins, les tantes, les oncles, ainsi que les grands-parents, agissent surtout à titre complémentaire ou supplémentaire aux parents. Ces derniers peuvent alors procurer des ressources aux collégiens que leurs parents ne sont pas en mesure d’offrir. C’est entre autres le cas lorsqu’il s’agit de permettre l’accès à des informations ou des opportunités : pistonnage, conseils d’initiés, matériel, hébergement dans le nouveau milieu de vie d’études, etc. Tel que le soulignent Borgatti, Jones et Everett (1998), ces relations permettent aux jeunes de se détacher de possibilités environnantes limitées et redondantes pour ouvrir sur des alternatives nouvelles. 

 

Du coté des relations hors famille se retrouvent les amis, ainsi que les relations amoureuses (pour ceux qui en ont à cet âge). Les relations amicales jouent un rôle d’équilibre important à celui des relations parentales. Si ces dernières sont fréquemment dirigées vers la mise en place d’un projet professionnel conforme à certains standards sociaux, les relations amicales, de leur côté, peuvent agir à titre de contre-balancier vers de nouvelles perspectives pour soi : essai de nouveaux comportements, de nouvelles attitudes, de rêveries ou de fantasmes. Les relations amicales ne sont pas obligées, mais choisies. Le support, la confidence, l’écoute, les conseils et les autres modes d’échanges, souvent tout aussi accessibles et disponibles auprès des parents, reposent ici sur le partage de caractéristiques homophiles : âge, scolarité, génération, activités partagées, connaissances communes. À la différence des relations parentales, les amis ne portent pas de responsabilité filiale relative à l’égard de son devenir. C’est pourquoi les relations amicales s’avèrent plus ou moins confrontantes, privilégiant un rapport de validation, de protection et de réconfort (Bidart, 1997; McPherson, Smith-Lovin et Cook, 2001; Giordano, 2003). Quant aux relations amoureuses, elles sont d’intensité très variable et, conséquemment leur rôle d’un partenaire amoureux sur la construction du projet professionnel peut varier également. Si certaines relations n’ont pour fonction que de "sortir ensemble" ou d’entretenir un lien affectif superficiel, d’autres peuvent déjà à cet âge se qualifier de relations conjugales. Les relations amoureuses peuvent servir de soutien à la construction de son projet professionnel via l’entraide et la gestion des tensions, des appréhensions et des questionnements mutuels. L’évolution du couple peut également mener à l’élaboration d’un « projet conjugal », lequel va superposer les différents projets personnels, dont professionnels, des deux partenaires au profit d’un idéal de vie commune (ex. : lieu d’études et migration interrégionale). Enfin, autant l’existence de relations amoureuses peut jouer un rôle important sur la construction des projets professionnels, autant certaines ruptures peuvent entraîner certaines désorganisations personnelles face aux études, ainsi qu’aux projets professionnels.

 

Finalement, en ce qui à trait aux relations hors du réseau social, soit les ressources professionnelles du collège, ainsi que les autres personnes significatives dans leur vie, elles peuvent jouer un rôle sur l’évolution des projets professionnels des collégiens. Les ressources professionnelles du collège se composent du personnel enseignant, des conseillers d’orientation, des aides pédagogiques individuels et des autres membres du personnel de l’institution. Les relations entretenues entre les collégiens et ces ressources professionnelles se distinguent de celles obligées et filiales de la famille ou de celle électives et homophiles des amis et des relations amoureuses. Les résultats analysés suggèrent que les ressources professionnelles du collège représentent avant tout des agents d’un système scolaire que l’institution met à la disposition des jeunes. Ces relations exercent ainsi des "fonctions" de développement socioprofessionnel : information, conseil, aide concrète et modelage pour un éclairage des réalités des marchés de la formation et de l’emploi; confrontation, mobilisation des jeunes et développement de comportements, d’attitudes et de stratégies dans un contexte de relation d’aide éducative. Au-delà des murs de l’institution collégiale se retrouvent d’autres personnes jugées significatives par les jeunes : collègues de travail étudiant, entraîneurs ou moniteurs de sport ou de loisirs, fréquentations ciblées à des lieux de convivialité (restaurants, bars, cafés), professionnels et intervenants psychosociaux hors du collège. Le fait que ces relations s’exercent hors des cadres du collège permet d’ouvrir vers des informations et des apprentissages au sein de nouvelles réalités et ainsi, confronter, façonner et modeler par la confrontation de l’image et de la confiance en soi. À ce groupe, il faudrait également ajouter celui "du monde", soit le reflet effectif, mais plus souvent perçu et représenté des autres à son égard, de sa place dans l’espace collectif.

 

Soutien et mobilisation sous conditions


 

Parmi les relations sociales des collégiens, certaines tendent à se manifester à tout moment de la construction de leur projet professionnel, alors que d’autres tendent plus spécifiquement à jour un rôle lorsqu’il devient nécessaire de porter des actions sur celui-ci. C’est le cas des parents, des amis, des relations amoureuses, ainsi que les membres de la fratrie dans la majorité des cas. Ces relations exercent une fonction de soutien continu, nonobstant la situation vécue, au travers d’actions d’écoute, de discussions, d’encouragements et de transmission de ressources nécessaires au maintien aux études collégiales. D’autres relations toutefois tendent à être sollicitées plus particulièrement lors des moments d’activités des jeunes, par exemple lorsqu’ils posent des actions d’exploration ou d’approfondissement d’une destination professionnelle envisagée (ex. : obtenir des informations spécifiques sur certaines professions, rencontrer une professionnelle ou un professionnel leur permettant de mieux se représenter une profession ou un domaine d’études, s’engager dans l’exercice d’une activité ou d’un emploi leur permettant de se confronter à certaines réalités ou d’acquérir des expériences profitables). Ces acteurs de mobilisation nommés par les jeunes s’associent la plupart du temps aux membres de la famille élargie, aux ressources professionnelles du collège et aux autres personnes jugées significatives dans leur vie.

 

Qu’ils agissent en tant qu’acteur de soutien ou en tant qu’acteur de mobilisation sur la construction du projet professionnel, les relations sociales des collégiens doivent remplir certaines conditions aux yeux des jeunes. Parmi celles relevées au travers des entretiens se retrouvent les suivantes : proximité et accessibilité; disponibilité et écoute intéressée; connaissances, compétences et expériences jugées crédibles; identification aux caractéristiques et capacité de modelage; perception de pouvoir faire appel et usage des ressources de l’autre en cas de besoin.

 

Collégiens et doctorants : quelles relations possibles ?


 

Certains auteurs (Bourdages, 1996; Erlich, 2000; Wulff et Austin, 2004) ont reconnu l’importance de s’attarder aux relations sociales des doctorants pour mieux comprendre leur parcours. Cette section tente d’établir des liens possibles des résultats obtenus auprès d’une population collégiens du Québec avec celle de doctorants.

 

La vie sociale structurée et homogène des étudiants de 17 à 23 ans ne saurait se comparer avec celles plus homophiles, affinitaires et électives que l’on retrouve normalement par la suite, lors de l’entrée sur le marché du travail, le début d’une vie résidentielle en couple, l’ajout d’un  rôle parental et la réduction du nombre de lieux de sociabilité fréquentés (Bidart et Pélissier, 2002). Chez les collégiens, la majorité des relations sociales se composent d’amis, ainsi que de connaissances dont les caractéristiques homophiles au plan de l’âge et de la scolarité les amènent à interagir quotidiennement dans l’enceinte du collège. Toutefois, autant pour les doctorants (Erlich, 2000) que chez les collégiens (Bourdon, Charbonneau, Cournoyer et Lapostolle, 2007) la nature plus intime des relations s’exprime plus souvent hors du cadre institutionnel des études.

 

L’analyse des parcours doctoraux d’Erlich (2000) rejoint celle portée dans les sections précédentes à propos des collégiens dans la mesure où deux types d’acteurs sont reconnus à titre de relation sociale prépondérante : les parents et les amis. Dans les deux cas, ces derniers constituent des liens forts avec lesquels ces personnes peuvent obtenir réconfort, écoute et encouragement, notamment lors de moments plus difficiles. Chez les doctorants toutefois s’ajoute une présence plus marquée des relations amoureuses. Alors que le "projet conjugal" joue un rôle sur l’évolution des projets professionnels d’une minorité de collégiens, il peut sans doute occuper une place plus prépondérante chez les doctorants. L’avancée en âge s’associe généralement d’un taux de relation de couple plus nombreux qu’à la fin de l’adolescence ou de l’entrée dans l’âge adulte. Chez les doctorants, les relations amoureuses peuvent sans doute apporter un soutien plus important et surtout plus continu dans la vie des doctorants de plus de 25, de 35, voir de 55 ans.

 

L’une des particularités des relations sociales de doctorants est sans doute de combiner au sein de sa population des jeunes n’ayant jamais arrêté leurs études et d’autres plus vieux qui y reviennent, tout en maintenant un lien avec la vie active de travailleur hors du milieu universitaire. En ce sens, les premiers pourraient présenter une sociabilité plus ou moins semblable à celle des collégiens, alors que les deuxièmes pourraient vivre dans un cadre d’effort quotidien de conciliation de leur vie étudiante, professionnelle, conjugale et parentale au travers d’un réseau social passablement restreint. Dans les deux cas l’avancée aux études doctorales amène un accroissement  d’obligations et de charges de travail diverses et supplémentaires. Cela a pour effet de limiter le temps dévolu à l’entretien de relations sociales (Erlich, 2000). À l’instar de Charbonneau et Turcotte (2002), il apparaît préoccupant de s’attarder aux risques d’un accroissement de l’isolement social, à moyen et à long terme, sur la santé psychologique et physique.

 

De manière générale, les collégiens peuvent bénéficier d’un nombre plus important de sources de soutien au sein de l’institution. Chaque jour, ceux-ci côtoient plusieurs membres du corps enseignant, professionnel et administratif du collège. Toutefois, la nature de ces relations demeure "fonctionnelle" puisque la plupart des collégiens considèrent essentiellement ces personnes qu’à titre de ressources disponibles sur besoins ponctuels. Cela permet aux collégiens de bénéficier d’un "filet de soutien" lorsque les liens forts (ex. : parents, amis) ne peuvent fournir l’aide, l’encouragement ou les ressources nécessaires pour naviguer au sein d’un système institutionnel. De leur coté, les doctorants n’ont généralement que très peu de cours au sein de leur curriculum d’études. Conséquemment, ils côtoient peu de professeurs ou de collègues. Bien que les relations sociales au sein de l’institution soient moindres d’un point de vue de quantité, elles peuvent s’avérer nettement plus prégnantes de celui de la qualité. Entre autres, la qualité de la relation entretenue avec le directeur de thèse peut s’avérer déterminante sur la capacité d’obtenir le soutien académique, logistique, financier et parfois personnel nécessaire à l’avancée aux études doctorales. Également, pour ceux pouvant profiter d’une participation au sein d’un collectif de recherche, les occasions d’établissement de relations sociales profitables s’avèrent normalement accrues. De plus, le partage de réalités communes et l’ouverture sur de nouvelles perspectives issus de rencontres dans les classes de cours, les collectifs de recherche ou les colloques, constituent pour la plupart des occasions de sociabilité qu’il serait intéressant d’analyser plus en profondeur. 

 

En somme, l’expérience relationnelle des doctorants demeure la source de plusieurs questionnements. Dans la mesure où les vies sont interreliées (Elder, 1998) et que la configuration relationnelle (Bidart et Pélissier, 2005) permet aux individus de se reconnaître et d’accéder à des occasions propices au développement de leurs parcours, plusieurs questions se posent à l’égard des doctorants :

 

§  Quel rôle jouent leurs relations sociales sur leur parcours d’études ?

§  Quelles sont les catégories de relations sociales qui participent à la vie relationnelle des doctorants ?

§  Quel rôle occupent les membres de la famille (parents, fratrie, famille élargie), ceux hors de la famille (amis, relations amoureuses) ou encore ceux hors réseau dans un contexte de vie si particulier ?   

§  Lesquelles agissent à titre d’acteur de soutien et lesquels à titre d’acteur de mobilisation?

§  En regard de telles conditions les doctorants font-ils appel à autrui pour des questions de soutien et de mobilisation, plus particulièrement lorsqu’il est question d’enjeux de poursuite, sinon d’abandon des études doctorales ?

 

Aujourd’hui, il est impossible de penser à l’existence individuelle sans prendre en considération l’évolution des institutions, ainsi que le l’ensemble des réseaux de relations au sein desquels elle s’inscrit (Peavy, 1997). Au-delà de l’objet-thèse et sujet-producteur d’une recherche doctorale se trouve un réseau de relations sociales avec lesquels s’échangent différentes formes de soutiens.


Références bibliographique


Bidart, C. (1997). L’amitié, un lien social. Paris : Éditions La Découverte.

Bidart, C. et Lavenu, D. (2001). Projets et trajets, contraintes et contingences : qu'est-ce qui fait bifurquer des parcours ? 8e journées de Sociologie du travail, Marchés du travail et différenciations sociales, approches comparatives, LEST-CNRS, Aix-en-Provence, 21-23 Juin 2001. Document téléaccessible à l’adresse <http://www.lest.cnrs.fr/lesdocumentsdetravail/bidart/projtrajet.pdf>.

Bidart, C. et Lavenu, D. (2005). Evolutions of personal networks and life events. Social Networks, 27(4), 359-376.

Bidart, C., Mounier, L. et Pellissier, A. (2002). La construction de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes à l’épreuve du temps. Une enquête longitudinale. Rapport final. Recherche financée par la Délégation interministérielle à l’insertion des Jeunes, Ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. Document téléaccessible à l’adresse <http://www.univ-aix.fr/lest/lesdocuments/rapportsderecherche/2002/rapportbidart.pdf>.

Borgatti, S., Jones, C. et Everett, M. (1998). Network Measures of Social Capital. Connections, 21(2), 1-36.

Bourdages, L. (1996). La persistance au doctorat. Une histoire de sens. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Bourdon, S., Charbonneau, J., Cournoyer, L. et Lapostolle, L. (2007). Famille, réseaux et persévérance au collégial, Phase1. Rapport de recherche. Sherbrooke : Équipe de recherche sur les transitions et l'apprentissage, Université de Sherbrooke. Document téléaccessible à l’adresse http://erta.educ.usherbrooke.ca/documents/Famille_reseaux_perseverance_07.pdf.

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[1] Au Québec, le collège d’enseignement général et professionnel, mieux connu sous l’abréviation « cégep », accueille chaque année des étudiantes et des étudiants provenant majoritairement de l’ordre d’enseignement secondaire, soit après onze années de scolarisation, pour la majorité à l’âge de 16 ou 17 ans. Tel que l’indique son nom, le cégep offre des voies de formation de deux années (programmes pré-universitaires) et de trois années (programmes techniques) permettant la poursuite d’études universitaires et/ou l’insertion professionnelle.
 
[2] Programme de recherche financé par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et par le Ministère de l’Éducation, des loisirs et du sport du Québec (MELS) dans le cadre du programme d’Action concertée Persévérance et réussite scolaire. Le projet est dirigé par Sylvain Bourdon, professeur titulaire à l’Université de Sherbrooke, et par Johanne Charbonneau, professeure et directrice de l’Institut national de recherche scientifique (INRS) – Urbanisation, culture et société.

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