lundi 18 février 2013

DE LA LECTURE À LA PRATIQUE ... L'APPROCHE SYSTÉMIQUE EN SANTÉ MENTALE

Depuis quelques jours, il vous est possible de consulter en format PDF le contenu suivant portant sur une recension de lecture de Geneviève Katia Bergeron, finissante à la maîtrise en carriérologie à l'UQÀM. Pour consulter et télécharger le PDF, rendez-vous sur le site ORIENTACTION à http://orientaction.ca/wp-content/uploads/2012/09/L’approche-systémique-en-santé-mentale.pdf


L’approche systémique en santé mentale
 

Landry Balas, L. (2008). L’approche systémique en santé mentale. 2e édition, Paramètres, Les Presses de l’Université de Montréal.
ISBN : 9782760621299

Recension d’ouvrage réalisée par :

Geneviève Katia Bergeron, étudiant à la maîtrise en carriérologie, UQÀM
 
Sous la direction de :
 
Louis Cournoyer, Ph.D., c.o.
Professeur (counseling de carrière
Université du Québec à Montréal
 

 


 Et si nous, les conseillers, faisions partie du problème…?

 

L’orientation, étymologiquement, désigne la direction de l’Orient, en d’autres termes, du soleil levant, par rapport à une position dans l’espace. Par extension, l’orientation désigne toujours la position d’un objet, ou d’un sujet, par rapport à un autre objet. Qu’elle soit politique, sexuelle ou professionnelle, l’orientation se dessine alors dans un espace, social dans le cas de ces exemples, mais qui pourrait être physique dans le cas de l’orientation géographique. Cet espace social, où l’orientation professionnelle et les problèmes s’y rattachant s’inscrivent, constitue alors un contexte. Le conseiller en développement de carrière ou en orientation sera donc toujours en train d’intervenir, sur et dans, un contexte, puisqu’il fera partie du problème dès lors que son client entrera dans son bureau… et nous espérons de la solution, lorsque le client en sortira! Adopter cette vision résolument systémique et reconnaître l’interaction comme fondement à la base de tout ce qui vit permettra au conseiller de susciter un mouvement ou une mise en action chez son client. L’approche systémique, peu importe le domaine auquel on l’applique, se distingue des pratiques traditionnelles occidentales car, à l’encontre du modèle cartésien, elle cherchera à replacer les individus dans les systèmes complexes auxquels ils appartiennent. Pour les systémiciens, « on ne pourra pas aider quelqu’un si l’on ignore son milieu de vie, ou si l’on ne soucie pas de la façon dont la relation d’aide modifie  ce milieu » [1] L’intervenant qui adopte l’approche systémique cherche donc à co-construire des solutions avec ses clients, à l’intérieur d’une relation égalitaire, d’une interaction qu’il perçoit comme un système en soi.  Il peut utiliser plusieurs techniques, mais c’est surtout sa conception de la relation d’aide, des acteurs de cette dernière et des concepts qui la construisent qu’elle se distingue des autres approches. Le texte qui suit traite du livre L’approche systémique en santé mentale, un recueil de textes publié par les Presses de l’Université de Montréal.

 

 

Gregory Bateson et Paul Watzlawick, deux systèmes humains marquants!

 
Gregory Bateson, chercheur « de tous les domaines », a été le maître à penser de toute une génération de chercheurs et a ouvert la voie à la pensée orientale dans la pensée occidentale. Il commença par l’étude de l’anthropologie dès la fin des années 1920, il enseigna par la suite différentes discipline dans différentes universités. Bateson s’intéressa à la santé mentale dans les années 1950. Son parcours est impressionnant, quasiment vertigineux : anthropologie, ethnologie, biologie, psychiatrie, épistémologie, évolution, théorie du jeu, communication chez les mammifères, pathologie des relations, évolution, systèmes et paradoxes logiques, Bateson a introduit les notions de la cybernétique et peut être considéré comme à l’origine de l’École de Palo Alto. Il a tenté de construire une description cybernétique et systémique du vivant à travers les différentes disciplines à lesquelles il s’est intéressé. La thérapie familiale s’est largement inspirée des travaux de Bateson. Paul Watzlawick a été professeur à l’Université de Stanford et thérapeute au Mental Research Institute. Il a été une des figures majeures du courant constructiviste et a su présenter les fondements de la théorie de la communication de manière plus accessible que ne l’avait fait Bateson. Watzlawick est donc celui à qui l’on se réfère naturellement, parfois sans savoir qu’il a, à la base, synthétisé les propos de Bateson pour ensuite approfondir ses recherches et créer de nouvelles connaissances sur l’approche systémique. Ces deux personnages sont les figures clés de l’ouvrage résumé dans les pages suivantes.

 

 Compte-rendu commenté de l’ouvrage

 
L’approche systémique en santé mentale compte 232 pages réparties en 9 chapitres. Chacun de ces chapitres est écrit par des professionnels de la santé mentale aux expertises différentes -  psychologues, psychiatres, intervenants sociaux - qui ont tous en commun une longue expérience de l’approche systémique. Les contenus des chapitres sont donc différents et reflètent des intérêts propres à chaque auteur.
 
Le premier chapitre s’intitule Historique de la systémique en santé mentale et trace un survol détaillé et exhaustif de l’apparition de l’approche systémique, de son évolution et de ses applications dans le domaine de la santé mentale. Fruit d’un important travail de recherche effectué par Christian Côté, ce chapitre situe l’apparition de l’approche systémique entre 1920 et 1960. Selon Côté, l’approche systémique a été une forme de réponse aux sciences positivistes qui appliquaient, et appliquent encore aujourd’hui, un cadre d’analyse qui sépare le sujet observateur de l’objet observé, ce qui, pour certains scientifiques, relevait d’une vision réductionniste et inapproprié aux sciences sociales.  La théorie des systèmes fut donc élaborée par un biologiste, Karl Ludwig von Bertalanffy, qui critiquait l’application d’un cadre d’analyse cartésien aux organismes vivants qui, selon lui, « ne suivent pas les mêmes règles que la physique [2] ». Il proposa d’aborder les phénomènes comme « des systèmes ou des ensembles d’éléments en interrelations entre eux et avec l’environnement [3]».  L’ensemble de ses propositions appliqué au domaine des sciences humaines, peut se résumer ainsi; 1) un système doit être compris comme un ensemble; 2) on ne peut comprendre un ensemble en étudiant ses parties séparément; 3) pour fonctionner, un système humain entretien un niveau élevé d’échanges d’informations et 4) un système humain peut réfléchir sur lui-même et ses actions. La théorie des systèmes fut à son tour utilisée par des groupes de chercheurs qui développèrent la cybernétique, science portant sur les mécanismes de contrôle d’information que les organismes mettent en place afin de s’autoréguler. De la cybernétique découlèrent les théories de l’information et de la communication qui étudièrent les processus d’émission, de transmission, de réception et de codification des messages ce qui contribua fortement au développement du paradigme qu’est la systémique. L’auteur explique comment l’apparition de la systémique fut marquante dans le traitement de certains de problèmes de santé mentale en proposant à la psychiatrie d’aborder les systèmes dans lesquels vivent et se développent les patients ainsi que les relations qui les entourent et les façonnent au lieu de se limiter à l’individu et sa personnalité. On traite aussi dans cette partie du livre de l’apparition de la thérapie familiale comme outil d’intervention dans un cadre d’analyse systémique et de l’influence importante de Gregory Bateson dans le développement de la systémique. Toujours dans le premier chapitre, l’auteur décrit comment, entre les années 1960 et 1980, les concepts de la systémique ont été précisés et des pratiques de plus en plus raffinées, élaborées. Il décrit en détail les regroupements d’écoles de pensée et d’interventions et aborde comment les différences culturelles entre les pensées américaines et européennes contribuèrent au développement de l’approche systémique. La vision américaine, pragmatique et orientée vers l’action contribua à développer le quoi et le comment de la systémique tandis que la vision européenne, plus analytique et axée sur le pourquoi contribua au développement de la conceptualisation de l’approche.  Parallèlement au récit épistémologique de la systémique, l’auteur aborde la découverte des psychotropes par les scientifiques positivistes et  le phénomène de la désinstitutionalisation, dans une perspective tout à fait systémique, des changements qui surviennent à plusieurs niveaux, dans le traitement des problèmes de santé mentale. Côté constate ensuite qu’entre les années 1980 et 1993, l’approche systémique en santé mentale fut profondément transformée par l’avènement de la cybernétique de second ordre qui stipule que les systèmes vivants changent, quoi qu’ils fassent et quoi que les thérapeutes fassent, donnant ainsi un fondement théorique à l’intervention systémique; « les systèmes ont des forces et des capacités d’adaptation et de développement. [4]» La cybernétique de second ordre amena avec elle de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques qui sont aussi expliqués dans ce texte. L’auteur termine son historique de l’approche systémique en santé mentale en abordant les avancées des deux dernières décennies, et où en sont les travaux, les recherches et les pratiques dans ce domaine, au Québec principalement. Il aborde par exemple l’influence de la Fondation pour l’approche systémique créée par Guy Ausloos et Suzanne Lamarre.  Exhaustif et très détaillé, ce chapitre intéressera les passionnés d’histoire et d’épistémologie, mais pourra perdre les lecteurs à l’esprit plus synthétique.

 

Le chapitre deux, la communication, clé de voûte de tout système, écrit par Louise Landry Balas, psychologue clinicienne qui a contribué à la diffusion de la vision systémique depuis de longues années, jette les bases théoriques de l’ouvrage en présentant les concepts à la base de la théorie de la communication de Gregory Bateson. Landry Balas reprend et explique les 5 axiomes de la théorie de la communication, tels que présentés par Watzlawick en 1981. Ces axiomes sont ; 1) On ne peut pas ne pas communiquer;  2) Il existe deux modes de communication, soit analogique et numérique 3) Toute communication comporte deux aspects, soit le contenu et la relation 4) Toute communication est symétrique ou complémentaire selon qu’elle se fonde sur l’égalité ou la différence et 5) La nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires. Après avoir présenté les fondements théoriques, l’auteur de ce chapitre élargit le champ de vision du lecteur en abordant le contexte comme toile de fond des échanges et l’importance que le contexte prend dans les processus de codage et de décodage de l’information, processus présents dans tout échange relationnel. Le concept de rôle, formel ou informel, dans les deux cas toujours réciproque, est abordé afin d’illustrer comment ces rôles définissent les relations et les comportements et donc d’une manière incontournable, toute communication. En complémentarité avec les notions de rôles, la dernière partie du chapitre aborde les concepts de règles explicites et implicites là aussi, comme éléments définissant les comportements et les communications. Ce chapitre met donc en lumière de manière détaillée les éléments qui composent les comportements, et donc la communication, dans la perspective systémique. C’est à partir de cette vision que l’auteur du chapitre, propose aux intervenants, d’aborder les situations relationnelles qu’ils rencontrent dans leur travail. L’intervenant intéressé par l’approche systémique pourra découvrir dans un langage simple et accessible les concepts à la base de cette perspective.

 

 

Dans le chapitre 3 intitulé rapports de contrôle et de coopération : du protectionnisme au partenariat, l’auteur qui est pédopsychiatre, Suzanne Lamarre, décrit le contexte traditionnel des consultations en psychiatrie et identifie que, lorsque ces consultations sont effectuées pour répondre à la demande de l’entourage de la personne malade, il existe un risque important pour l’intervenant qui reçoit la demande, de contribuer à l’établissement de rapports de victimisation. Ces rapports seraient selon l’auteur, le résultat de demandes que même la famille n’oserait pas appliquer eux-mêmes, comme « il faut le traiter pareil, même s’il refuse ». Lamarre affirme que quand un intervenant en santé mentale accepte de suivre une personne désignée comme malade par son entourage sans intervenir sur le contexte relationnel, l’intervenant s’installe, en tant que membre du système, avec son patient et les siens dans une relation de contrôle où il y a de moins en moins de place pour le partenariat. Cela pourra mener à ce que chacun puisse imposer sa volonté à l’autre afin de le protéger et finalement le contrôler par l’imposition de son traitement ou de ses moyens de contrôle que peuvent être par exemples, la médication ou l’hospitalisation, ou la honte et la culpabilité. L’auteur appelle donc ce modèle comportemental systémique protectionnisme. Elle en définit quatre éléments par lesquels s’installent un processus de victimisation et qui sont : 1) le duo protecteur / protégé 2) la relation est sujette aux éclatements 3) la relation en est une de pseudo mutualité 4) les moyens de maintenir la relation sont des moyens de contrôle. Après avoir identifié que les moments de crise sont des moments privilégiés pour tenter d’introduire un changement dans les rapports, Lamarre propose comme alternative aux rapports protectionnistes, les rapports de partenariat et de coopération qui selon elle, suscitent des changements majeurs dans les systèmes familiaux, tant aux niveaux des attitudes que des comportements. L’auteur vise donc  l’adhésion par les familles à des valeurs de non-violence et partage avec le lecteur de l’ouvrage, une liste de choses à faire et de choses à ne pas faire qui peut être utilisée pour aider les familles à effectuer cette transformation et ce changement de paradigme. Ces listes sont composées des comportements de personnes contrôlées et contrôlantes (à ne plus faire) et des comportements et valeurs des personnes autonomes et indépendantes (à faire). Lamarre termine son chapitre en invitant le lecteur à une réflexion sur la place qui est présentement accordée au malade dans les décisions qui concernent son traitement dans nos institutions. Cette réflexion nous apparaît pertinente et transférable dans les situations propres au développement de carrière et d’orientation, en fait, dans toutes situations où un professionnel en situation « d’autorité » de par son statut « d’expert » est appel à intervenir.

 

Le chapitre quatre, dont le titre est complémentarité des visions cartésienne et systémique est écrit par une travailleuse sociale en psychiatrie, membre du corps enseignant à l’université de Montréal et consultante auprès de CLSC, soit Christine Archambault, et deux collaborateurs. Ce chapitre considère l’approche systémique comme un complément nécessaire à l’approche médicale dans le traitement et le suivi en santé mentale. On y établit donc une distinction entre les deux approches pour expliquer ensuite comment elles se complètent. La vision cartésienne est décrite comme l’isolation de variables afin de simplifier les observations et la recherche de causalités linéaires aux problèmes étudiés. Cette vision est aussi critiquée principalement à cause de la perte d’information que suscite l’isolation de variables dans l’étude du monde vivant. Basé sur la vision cartésienne, le modèle médical, dans un contexte de soins en santé mentale, est présenté comme utile parce qu’il permet assez rapidement d’arriver à poser un diagnostique et d’établir en conséquence un plan de traitement pour une personne qui présente des symptômes aigus. L’apport de la psychopharmacologie et de l’hospitalisation dans la diminution ou l’élimination de symptômes variés, dont certains dangereux comme les idéations suicidaires ou violentes, et la nécessité de certains psychotropes dans le traitement de maladies mentales chroniques sont reconnues par les auteurs de ce chapitre. C’est en décrivant le principal critère de réussite du traitement médical, soit la réduction de symptômes, que les auteurs abordent le fait que le patient sera considéré guérit sans que le contexte qui aura contribué à l’émergence de ses symptômes n’eût été considéré ou changé. Cet état de fait pourra contribuer, si le patient retourne dans la même situation sociale ou relationnelle, à la réapparition des mêmes symptômes et des mêmes dangers et c’est donc à ce stade-ci que la vision systémique est introduite par Archambault et al. comme complémentaire. Parce que la vision systémique s’intéresse à la complexité des situations et prend en compte la dynamique de la personne dans son environnement, l’intervenant qui l’adopte explore, avec ouverture aux nombreuses possibilités, en concevant la résolution de problèmes comme difficilement prévisible. Pour les auteurs, cet intervenant cherche à connaître les ressources de la personne, il analyse et considère ses interactions avec son système relationnel afin d’établir un rapport de coopération et de co-construction pour comprendre sa réalité et participer à son processus de changement. Il utilisera par exemple le questionnement circulaire afin d’explorer, avec la personne, comment les problèmes se construisent et sont reliés entre eux. Il ne considèrera pas le diagnostique comme une cause unique des symptômes de la personne. Un tableau synthèse des deux visions fort bien fait est présenté à la page  97 de l’ouvrage permettant ainsi de saisir rapidement l’essentiel du chapitre. Les auteurs présentent en terminant le cas de Caroline qui constitue un exemple de collaboration entre des professionnels de différentes disciplines et qui a permis à une jeune femme affectée par des problèmes de santé mentale d’acquérir un meilleur équilibre dans sa vie et dans ses relations. Cet exemple illustre bien la complémentarité dont il est question dans le chapitre.

 

Le chapitre cinq intitulé L’intuition, incomparable source d’information, est présenté par Louise Landry Balas, psychologue clinicienne qui a contribué à la diffusion de la vision systémique depuis de longues années. À travers une anecdote personnelle portant sur sa rencontre avec une figure de proue de l’École de Milan, un des lieux cultes du développement de l’approche systémique en Europe, Landry aborde le droit à l’erreur comme étant tributaire d’apprentissages riches pour les thérapeutes. Elle affirme que les formations théoriques, bien que nécessaires et pertinentes, ne préparent pas suffisamment bien pour l’action à laquelle les thérapeutes doivent se préparer, soit, interagir avec des personnes qui souffrent. Pour l’auteur, les deux formes d’apprentissage que sont le processus « d’essai et d’erreur » et celui de l’assimilation de connaissances existantes devraient idéalement se compléter tout au long de la vie et de cette complémentarité viendrait une capacité accrue de réfléchir, découvrir, créer et se faire confiance.  Elle définit ensuite l’intuition comme une façon différente de savoir et de comprendre qui s’appuie sur l’ensemble des apprentissages effectués dans une vie et qui représente le meilleur guide quand vient le temps d’interagir avec les personnes. La définition que nous propose donc Landry de l’intuition implique que cette forme de connaissance est immédiate et globale en plus d’être pertinente en intervention. Elle affirme que l’intuition est une précieuse alliée pour les thérapeutes et les intervenants car c’est elle qui leur permet de saisir globalement une situation complexe, sans en comprendre tous les éléments qui la constituent. L’auteur illustre avec une étude de cas tiré de son expérience professionnelle, comment, grâce à son intuition, elle a aidé une famille à se créer de nouvelles règles et à collaborer afin d’apprendre à reconnaître un problème, à en discuter, à trouver et à appliquer des solutions.  Landry termine ce chapitre en affirmant que l’intuition peut être utile en intervention de plusieurs façons mais souligne l’importance particulière qu’elle prend dans l’émergence de la créativité, par exemple, dans la construction de métaphores qui s’avèrent des interventions efficaces pour recadrer une situation ou illustrer un propos. En jetant un regard très personnel sur la conception de l’intervention de l’auteur, ce chapitre peut être considéré comme anecdotique par certains.

 

Le chapitre six, Les techniques de base en approche familiale systémique : questionnement circulaire, recadrage et prescription de tâches écrit par Jean Paratte, psychiatre systémicien et gestionnaire d’unité psychiatrique, présente et décrit les interventions qui sont à la base de l’évolution du processus en thérapie systémique. Selon Paratte, cette dernière évolue en trois temps, soit celui de l’évaluation, celui de l’introduction du doute et celui du changement comportemental. Le questionnement circulaire et les recadrages serviront à introduire des doutes chez les clients tandis que les prescriptions de tâches seront utilisées afin de  changer des comportements. L’approche systémique utilise la méthode du questionnement socratique, qui consiste à privilégier les questions plutôt qu’à affirmer des choses. Cela permet d’obtenir des informations et d’aborder les problèmes autrement en plus d’impliquer les interlocuteurs. Les questions types, inspirées des cognitivistes, sont : 1) Est-ce bien vrai? 2) Quelles sont les conséquences du problème? 2) Peut-on voir cela autrement? 4) Sur quoi vous basez-vous pour dire une telle chose? L’approche systémique va au-delà même des questions types en appliquant la méthode socratique aux relations interpersonnelles. Le questionnement systémique permet d’élargir la vision des problèmes en portant attention aux interactions et au contexte d’apparition des troubles autant qu’aux troubles eux-mêmes. Selon Paratte, l’intervenant qui l’utilise cherche à voir interagir entre eux les clients et à voir leur problème autrement afin de proposer un modèle thérapeutique qui modifiera leur vision à eux. Après avoir poser des questions linéaire comme « Depuis quand êtes-vous malade? » , le systémicien voudra rapidement mettre en place un processus de « circularisation » qui vise trois objectifs; la participation et la mise en relation des personnes concernées, la recherche d’informations pertinentes pour le groupe-système et la sensibilisation au modèle systémique. L’auteur explique que le questionnement circulaire consiste à « faire décrire par un participant le comportement d’un tiers, en termes de différences et de changements »[5] et en présente les principes ainsi que les différentes formes de techniques. Sont abordées dans ce chapitre les questions portant sur les différences et les questions portant sur le changement. Le recadrage est expliqué par Paratte comme étant « un commentaire qui modifie l’angle sous lequel on voit une situation[6] ». Il présente ensuite les règles pour rendre cette forme d’intervention efficace ainsi que la différence entre recadrage simple et recadrage complexe.  L’auteur termine son chapitre en décrivant la prescription de tâches, ses principaux objectifs, les règles qui en assurent l’efficacité ainsi que les différentes formes de tâches. On retrouve aussi dans ce chapitre, quelques exemples tirés de l’expérience de psychiatre de Paratte servent à illustrer plus concrètement comment appliquer ces techniques. Très concret et axé sur la pratique, ce chapitre suggère plusieurs techniques d’intervention qui peuvent être empruntées par le lecteur intervenant.

 

Le chapitre sept, soit celui concernant la psychothérapie orientée vers les solutions est écrit par Josée Lamarre, psychologue clinicienne et formatrice en psychothérapie. Elle aborde son chapitre par le récit de réflexions et d’expériences qui l’ont mené à adopter une vision et une pratique systémique. La thérapie brève orientée vers les solutions (TBOVS) est vue comme une approche qui cherche à élaborer des solutions avec le client dans une relation égalitaire où le thérapeute doit porter attention dans la conversation aux objectifs que le client et lui poursuivent et aux ressources disponibles chez le client et dans le milieu pour surmonter les difficultés. L’auteur différencie  la psychothérapie brève orientée vers les solutions (TBOS) de la thérapie brève stratégique et aborde les cadres d’analyse de l’approche systémique et de l’approche constructiviste afin de situer la TBOVS. La théorie systémique a effectivement constitué un apport au champ de la psychothérapie en prenant en considération les aspects interactionnels plutôt que les seuls aspects intrapsychiques. Dans ce sens, la TBVOS emprunte à ce cadre en se penchant sur la recherche des moments où le client se sent mieux, où les problèmes sont absents, au lieu de tenter d’établir le pattern du problème du client ou encore ses lacunes. Ces moments sont appelés les moments d’exceptions et constituent des éléments que le thérapeute cherchera à mettre en lumière afin de susciter espoir et mise en mouvement chez le client. L’approche constructiviste pour sa part, en affirmant que toute réalité est subjective, donne une base épistémologique à la TBOVS. Puisqu’il n’existe pas de réalité objective, la perception d’une réalité (d’un problème) peut être considérée comme un problème en soi et selon Lamarre, on peut constater que plusieurs problèmes humains sont liés à la croyance des individus selon laquelle il n’existe qu’une seule réalité et que seule leur vision de cette réalité est bonne, plaçant tous les autres individus dans la catégorie des fous ou des méchants. À partir de ce constat, l’auteur affirme que le rôle du thérapeute est de co-construire des réalités autres avec le client à l’aide de la parole et du langage, le recadrage étant ici vu comme un outil permettant une vision nouvelle d’une situation difficile vécue par le client. Lamarre propose différentes techniques d’interventions tout au long du chapitre et illustre ses propos à l’aide de la présentation du cas de Marianne. Elle propose d’envisager la relation client-thérapeute sous trois angles différents, des pistes d’interventions pour chacune de ces relations client-thérapeute. Ce chapitre illustre bien la polyvalence de la TBOVS et ses nombreuses applications cliniques.

 

Le chapitre huit, l’approche narrative : la narration au cœur des systèmes humains est écrit par André Grégoire, psychologue clinicien, co-fondateur et formateur au Centre de psychothérapie stratégique. Ce chapitre débute sur une histoire portant sur deux survivants d’une catastrophe planétaire qui établiraient entre eux une convention nouvelle pour désigner les réalités qui les entourent, tout en sachant qu’ils ont eux-mêmes établit cette convention et qu’ils peuvent la changer. L’analogie reprise par l’auteur, en vient à expliquer comment les descendants des deux survivants originaux, quelques générations plus tard, auraient perdu de vue le fait que ce qu’ils utilisent pour décrire la réalité, soit le récit qu’ils en font, n’est pas la réalité. Cette histoire permet d’illustrer et d’aborder la construction sociale de la réalité que dans lesquelles s’installent les communications quotidiennes et de jeter les bases de l’approche narrative. Grégoire explique que nous utilisons des mots pour décrire et s’approcher des réalités qui nous entourent. Comme nous avons développé et continuons de développer un répertoire de mots que nous organisons ensuite en des phrases générant ainsi des milliers de possibilités pour exprimer une réalité. Dans l’approche narrative, le fait de raconter une histoire la rend plus réelle aux yeux du conteur, qu’il la raconte à voix haute ou intérieurement; « une narration a comme effet de construire la réalité qu’elle nomme [7] ». Cette approche reconnaît et propose donc d’utiliser l’impact potentiel des mots sur l’esprit humain en concevant le rôle du thérapeute comme un co-scénariste qui peut influencer les narrations que la personne construira dans sa relation avec lui, puisque la parole est vue ici comme un acte social, le parlant comme un être social. L’auteur appelle « alter-narration » cette autre version de l’histoire que l’intervenant tentera de faire émerger à travers la narration initiale du client, qui se présentera pour parler d’un problème, il va s’en dire. Grégoire présente quelques objectifs que l’approche narrative visera, comme l’extériorisation du problème, souvent présentée par les personnes comme inhérent à leur identité, par exemple quand quelqu’un dit « je suis alcoolique ». La recherche de voies d’ouverture vers d’autres histoires possibles sera aussi un moyen pour l’intervenant de travailler avec la personne qui le consulte. L’approche narrative privilégiera le mode d’intervention par questionnement afin de laisser le plus d’espace à la personne dans la construction de sa réponse.  Grégoire n’omet pas dans son chapitre, de situer l’approche narrative dans la perspective systémique, puisque finalement, toute narration est le reflet d’innombrables interactions qui ont façonné la vie de la personne qui raconte. Présenté dans un style narratif captant l’attention, ce chapitre propose des pistes d’interventions concrètes qui pourront s’avérer utilisables rapidement pour les lecteurs intervenants.

 

Le chapitre neuf s’intitule la systémique dans l’organisation : un modèle pour l’avenir ? Son auteur, Diane Beauséjour, travailleuse sociale clinicienne et docteur en communication a été gestionnaire dans le réseau de la santé. Elle utilise l’approche systémique auprès des organisations autant que des familles et individus et relate dans ce chapitre le passage d’une culture bureaucratique d’un centre d’accueil à une culture organisationnelle systémique. Beauséjour affirme que les structures organisationnelles conventionnelles de nos établissements de santé sont basées sur un modèle taylorien où l’organisation du travail se fait selon une méthode de distribution stricte des tâches, de spécialisations des sous-systèmes d’opération et de la division hiérarchique entre exécutant et gestionnaire. Beauséjour affirme que cette forme d’organisation et déshumanisante dans un contexte de services de soins car les intervenants ont besoin d’une autonomie décisionnelle dans leurs relations et interactions avec les individus qui reçoivent les soins. Afin de diminuer la distance entre les gens qui pensent les services et ceux qui les dispensent, et donc de rétablir une relation entre ces personnes, l’auteur propose de co-construire des relations de partenariat et de coopération au lieu des rapports de contrôle et de méfiance qui existent. Beauséjour définit la coopération comme la prise en commun des décisions et la collaboration comme la répartition logique et consentie des rôles, des tâches et des responsabilités. L’auteur présente une expérience de changement organisationnel qui a eu lieu dans un CHSLD et qui a été guidée par des concepts systémiques, soit l’organisation par l’information plus que par le contrôle, la récursivité dans les rapports humains, l’implication des personnes concernées par un problème dans la recherche de solutions et la participation à l’établissement de règles et aux prises de décisions. Beauséjour aborde ensuite les changements engendrés par l’organisation systémique du travail sous différents angles, soit dans la structure, chez les résidants et chez les cadres. On peut trouver un tableau comparatif fort bien fait qui synthétise les deux modèles organisationnels à la page 216. Ce chapitre interpellera en premier lieu les intervenants qui ont un intérêt pour la gestion ou qui occupe des fonctions de cadre. Toutefois, sa présentation claire et succincte permettra aussi à l’intervenant qui travaille « sur le plancher » de conceptualiser certaines réalités organisationnelles et peut-être proposer des changements dans son milieu.

 

 

Pertinence pratique

 

L’approche systémique en santé mentale est un ouvrage aux contenus variés. En plus d’exposer les fondements théoriques de cette approche, ce livre trace un survol historique de l’émergence puis de l’évolution de la systémique dans le domaine de la santé mentale. Aussi, il permet au lecteur  d’avoir accès à des exemples provenant de la pratique de professionnels variés, propose plusieurs techniques d’intervention et favorise la réflexion grâce aux chapitres qui abordent des concepts tels que l’intuition, les rapports de contrôle et le partenariat-coopération en passant par les modes de gestion. Les professionnels de l’orientation et du développement de carrière qui voudraient s’inscrire dans l’approche systémique auraient, en plus de respecter les principes à la base de la systémique, à raffiner leur réflexion et position afin d’identifier laquelle parmi les nombreuses possibilités qui s’offrent à eux et qui se situent toutes dans une perspective systémique. L’intervenant en développement de carrière ou en orientation intéressé par l’approche systémique souhaitera-t-il utiliser l’approche brève stratégique ou l’approche brève centrée sur les solutions ou encore l’approche narrative et des histoires de vie ou encore? Adoptera-t-il le groupe comme canevas de travail pour ses interventions auprès de clients? Choisira-t-il plutôt d’influencer les processus de gestion d’organisation, comme la sélection de personnel, dans une perspective systémique ? Voudra-t-il au contraire, suite à une adhésion à ce cadre d’analyse, intervenir au niveau des structures économiques afin de permettre le développement des carrières des individus qui y évoluent? Suite à la lecture de cet ouvrage, l’intervenant en développement de carrière qui choisira de s’inscrire dans l’approche systémique concevra que, pour comprendre la demande d’aide de son client, il lui faut prendre en considération le contexte dans lequel la difficulté de son client émerge et le contexte dans lequel le conseiller lui-même évolue.  Il choisira d’intervenir à l’intérieur d’une relation égalitaire où l’interaction de la personne avec son milieu sera prise en considération, parfois même plus que ses propres caractéristiques personnelles…! Il ne s’intéressera peut-être pas aux émotions comme telles, qui sont finalement, de l’ordre du contenu, mais aux règles internes de son client qui font en sorte par exemple, que ce dernier éprouve des émotions difficiles à l’idée de ne pas savoir quel programme choisir à une date fixe. Il pourra alors privilégier des questionnements socratiques afin d’aider ce client à recadrer sa perception de la nécessité de faire le bon choix avant le 1er mars. Le systémicien du développement de carrière pourrait envisager d’intervenir sur les problèmes d’épuisement professionnel en tant que consultant, à l’intérieur du contexte organisationnel qui les a vus émerger, là où se rencontrent les employés qui sont devenus malades et les milieux de travail qui les ont accueillis durant le développement de la maladie. Ce même intervenant pourrait utiliser l’approche narrative afin d’aider de jeunes adultes peu scolarisés à « ré-encoder » une partie de leur parcours scolaire, souvent difficile, et ainsi les aider à envisager d’autres possibilités que des métiers peu spécialisés et des emplois précaires. Les applications de l’approche systémique au domaine du développement de carrière et de l’orientation peuvent être nombreuses et diversifiées. Un des apports important aux sciences humaines de l’approche systémique est que cette dernière fournit une perspective alternative sur les problématiques sociales qui permet de saisir la réalité d’une manière plus globale que ne le fait le positivisme Cette approche laisse aussi beaucoup d’espace aux clients et tente d’éviter de confondre les problèmes avec les personnes qui les vivent. Cette perspective qui invite les observateurs-acteurs à ne pas perdre de vue que leur point de vue en vaut un autre, puisque toute réalité est subjective, amène ainsi l’auteur de ces lignes à laisser aux lecteurs de ces mêmes lignes le loisir d’interpréter à leur guise…

 

 

 

 

 

 

 

 

 






[1]Louise Landry Balas, L’approche systémique en santé mentale, Paramètres, 2e édition, Les Presses de l’Université Laval, 234 p., couverture arrière.


[2] Ibid, p.12


[3] Ibid, p. 13


[4] Ibid, p.36


[5] Ibid, p. 118


[6] Ibid, p.123


[7] Ibid, p.182

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